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La Russie occidentale

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©Marie Négré-Desurmont

J’avais pourtant dit que ça ne m’arrangeait pas, cette histoire de Coupe du monde en Russie, car tout serait plus cher et rempli de touristes. Et puis voilà que nous sommes en finale. Je suis française, je décale donc mes plans et j’attends dimanche…  

Dans cette ville immense, pleine d’artères automobiles à 4 voies, je rencontre Petre.  Il m’accueille chez lui, à une heure de Moscou dans une barre d’immeuble délabrée. Petre est un jeune Géorgien conservateur orthodoxe avec des convictions... solides. Il vaut mieux être d’accord avec lui, sinon, c'est que vous avez tort. Après m’avoir expliqué comment Satan était entré en Conchita Wurst, il me passe Aznavour, un verre de whisky à la main, et me chante son amour pour la France. Il me parle de la Bourgogne, et me demande de lui lire des passages de la Bible en français … mais n'oublie pas de me dire avec finesse qu'il ne supporte plus l'équipe de France depuis que, je cite, "elle n'est plus française mais africaine". Puis il s’installe par terre pour me laisser son lit. L’âme slave …

Le jour de la Finale arrive, je m’installe dans l’immense fan-zone qui surplombe le stade sur une colline, près de l’université. Comme nos pays ont les mêmes couleurs, je demande à une jeune femme croate sa peinture pour me faire le drapeau de la France sur le visage. Malaise.

Après avoir goûté à l’euphorie de cet endroit immense rempli de milliers de fans, cadré par l’armée qui empêche un autre millier de fans de rentrer, je profite de la mi-temps pour aller goûter à l’ambiance de la ville. Partout je vois des écrans verts, sur les téléphones et les téléviseurs, et j’entends les commentaires de jeu, dans les restaurants et leur cuisine, en écho des fenêtres.  Je m'arrête finalement dans un genre de Rosa Bonheur Moscovite, qui a vue sur la Cathédrale Saint Sauveur, et j’attends avec un Spritz le 4ème but français.

Et moi j’attends que quelque chose se passe, je vois bien qu’à Paris on devient fou, mais ici, on a l’impression qu’il n’y a rien à fêter. Je vais sur la Place Rouge en pensant que c’est là qu’iraient les supporters français du stade. On se prend en photo avec moi et mon drapeau français sur la joue. Je fais défiler mon fil d’actu Facebook, Instagram, même Snapchat que je pensais mort. Des amis m'appellent en visio, je vois bien que je rate quelque chose. Je pleure assise sur des marches.

Alors que je suis affligée, en train de m’imaginer faire un aller-retour Moscou-Paris, deux français me poussent vers l’Ambassade de France où il suffit de montrer son passeport pour fêter en territoire français, la victoire des bleus ! Sur de la variété française (évidemment), du Aznavour (encore lui!)  et du Daft Punk, je danse jusqu’au petit matin.

Lundi 16 juillet, mon train est à 23:05. Le taxi me dépose devant une gare et après avoir passé les contrôles et être arrivée sur le quai, je réalise que je ne suis pas dans la bonne gare. Il est 22:56. J’ai 15 kilos sur le dos et des sacs de nourriture, je cours en me demandant où je vais dormir ce soir, je trouve ma gare puis, miracle, je saute dans mon train en marche. C’est parti pour 50 heures dans le mythique Transsibérien.

C’est un train qui a un attrait particulier dans l’esprit des occidentaux, qui se représentent souvent la Sibérie à travers les aventures de Michel Strogoff et les récits de Tchekhov. Anton Tchekhov qui disait, en découvrant ces paysages extraordinaires, immense réserve de silence, “d’enthousiasme, j’en ai la tête qui tourne”... Plus d’un siècle a passé et le même mysticisme entoure cette contrée du bout du monde.

Les premiers rails de ce train sont posés à la fin du 19ème siècle, et il est l’oeuvre d’un certain Bogdanovitch qui souhaitait résoudre le problème des famines en Russie d’Europe en y acheminant les céréales sibériennes. Le sens de l’histoire peut parfois surprendre...

Mais aujourd’hui, on est loin de l’époque où, aux arrêts, on donnait des fusils aux voyageurs pour qu’ils aillent chasser le gibier et se nourrir. Aujourd'hui, chaque wagon à sa Provodnitsa qui gère les voyageurs, le ménage, distribuent les draps et vous prévient qu’il faut descendre. La mienne est une jeune qui pianote sur WhatsApp et me chatouille les pieds lorsque je suis allongée sur mon lit.

L'expérience du Transsibérien est une expérience de vie, un éloge de la lenteur. Le train traverse des océans de forêts à 60km/h, et nous dévoile ce qui ressemble à l’infini. Des paysages sans échelle, des gares en bois, des bourgs extraordinairement misérables, et moi qui attends en méditant, en lisant, en dormant. La première fois que je l’ai pris en 2016, je n'avais rien compris. Je me suis levée trop tôt, vers 8h, je me suis habillée, ai avalé un rapide petit déjeuner, ai visité le wagon et pris quelques photos. À 9:30 je n’avais plus rien à faire jusqu’au soir. Aujourd'hui, je sais qu’il faut dormir, beaucoup, lire, lentement, mâcher le déjeuner, doucement. Errer dans ses pensées et s’y perdre un peu. Les journées et chaque seconde vous appartiennent, et c’est un luxe qu’il faut (ré)apprendre à apprivoiser. 

 

 

 

 

À 5h et quelques du matin, j’arrive à Novossibirsk, capitale de la Sibérie. Je vous dirai un mot de cette ville, mais depuis j’ai repris le train, et je suis arrivée à Tayshet. Il est très tard et j’ai demandé en Russe un endroit où dormir, on m'emmène dans un grand bâtiment où je suis accueillie par une dame en blouse bleue, il y’a des barreaux à ma fenêtre … affaire à suivre.

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