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Du Japon à l'Alaska

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©Marie Négré-Desurmont

Après avoir tutoyé les nuages sur le Fuji, je me replonge dans mes petits tracas administratifs et je contacte l'ambassade américaine pour connaître le statut de mon visa. Bonne nouvelle à priori, on me demande de poster mon passeport à l’ambassade dès que possible ! C'est chose faite dans la demie heure, mon passeport est envoyé en express et je n’ai plus qu'à espérer que tout sera bouclé dans les jours qui viennent pour embarquer le 25 sur le cargo NYK Delphinus vers le continent américain.

Les jours passent et le vendredi suivant, inquiète de ne pas avoir de nouvelle, je contacte l’ambassade pour leur expliquer que je dois absolument venir aujourd'hui récupérer mon passeport et le visa car mon bateau part demain. La réponse est radicale : ils n’ont jamais reçu mon passeport. Il m’est impossible de quitter le territoire demain. Avec l'énergie du désespoir, je cours à la poste où j'essaye tant bien que mal d’expliquer la situation aux employés ahuris qui ne parlent pas un mot d’anglais et n’ont surtout pas l’habitude de ce genre de problème.

J'y passe deux heures, ils courent d’un téléphone à un autre pour tenter de localiser mon passeport. À 17h, ils ferment le rideau de fer et je suis encore là à attendre une information. Une heure après la fermeture, je suis au téléphone avec le responsable de la clientèle qui m’explique qu’ils sont incapables de localiser mon passeport, qu’ils vont enquêter mais que c'est une procédure qui prendra un mois. Je fonds en larme dans le bureau de poste devant des employés désemparés.

Ici, on cache ses émotions pour ne pas rompre l’harmonie sociale, mais moi je suis accablée : je n’ai plus de passeport, nous sommes vendredi soir et je ne peux rien faire d’ici lundi matin. En bonne française j’exprime ma tristesse, et je pars m’acheter un fromage de chèvre et une baguette à l’autre bout de Tokyo. Je regarde partir mon cargo le lendemain, bien que retardé par le typhon, je n’ai plus aucun espoir de monter à bord.

Lundi matin, je suis à 8h à l'ambassade française pour faire la demande d’un passeport d’urgence. On étudie mon cas et le passeport m’est finalement accordé à la condition que je prenne un billet d’avion qui justifie l’urgence, car faire du bateau-stop n'en est pas une. Mes rêves de Paris-NYC sans avion viennent de tomber à l’eau, sans mauvais jeu de mot.

Je relativise car je ne sais que trop bien que l’aventure se heurte parfois aux décisions administratives. Ma démarche vise surtout à valoriser tous les autres moyens de transport, plus aventureux et locaux, moins confortables souvent mais plus grisants, mais l’avion reste la norme.

C’est le jeu, je prends donc un billet pour l’Alaska le jeudi suivant ! Une fois mon passeport d’urgence en poche, je file à toute allure à l'ambassade américaine pour le leur remettre et obtenir mon visa dans la foulée. Je sais que je n’ai pas le droit d'accéder à l'ambassade en dehors d’un rendez-vous mais au vu de la situation, je tente le tout pour le tout et je m’impose.

À l’accueil, on ne sait pas très bien comment gérer mon cas, et on me passe au téléphone une responsable du bureau des visas. Laquelle m’apprend qu'ils ont reçu mon passeport la veille, et que je dois attendre encore une semaine pour qu'ils me le restituent avec le visa apposé. Deux nouvelles qui me font d’abord éclater de rire, puis m’enragent. Je passe du rire aux larmes de la façon la plus absurde, dans un endroit où il vaudrait mieux faire profil bas. Je ne me démonte pas et je leur explique sèchement que je ne repartirai pas sans mon visa, car j’ai déjà raté le départ de mon bateau, mais j’ai aussi dû faire un passeport en urgence et prendre un billet d’avion pour jeudi, car ils ne m’ont pas prévenue qu’ils avaient reçu le passeport officiel. Un peu désemparée, elle me dit qu’elle ne peut rien promettre mais me propose d’attendre 14h un mail de leur part.

J’en profite pour me rendre à l’ambassade de France pour rapidement faire annuler mon nouveau passeport avant que l’autre ne soit plus valable. Puis à 13h45 je reçois le mail qui m’invite à venir récupérer mon passeport à l’ambassade … je suis aussi soulagée et heureuse que lorsque que j’ai atteint le Mont Fuji !

 

 

Interlude Hawaiienne

Le jour de mon départ, le staff de l’auberge se réunit pour me fêter, je suis tout de même restée ici un mois … C’est donc un peu nostalgique de ma vie tokyoïte que je file à l'aéroport et que je m’envole vers Hawaii. Je traverse la ligne de changement de date et recommence donc cette journée du 30 août avec 12 heures de correspondance difficile à Honolulu ; je saute dans le premier bus qui indique “plage et hôtels”, je troque mes chaussures de rando pour un maillot et je plonge dans les eaux turquoises hawaïennes, riant de bonheur. De ma serviette, je fais la rencontre d’un homme en attente du verdict de son procès contre Obama (!) puis d’un chauffeur de bus touristique qui m’invite à faire le tour de la ville dans l'après-midi. Je découvre donc Honolulu à toute allure, avant de repartir pour mon prochain vol, vers le froid et les grands espaces sauvages d’Alaska.

 

Arrivée à Anchorage au petit matin, je suis d’autant plus saisie par le froid que je viens de quitter la canicule de Tokyo et la plage d’Honolulu. À force de me déplacer lentement par les chemins de la terre, j’en avais presque oublié ce que c’était que de voyager à travers les différentes saisons des hémisphères !

Je suis vite réconfortée par mon premier hôte alaskien, Will, qui m’accueille dans une espèce d’auberge espagnole du grand Nord ! Une demie douzaine d’autres voyageurs sont ici, dans cette grande maison où chacun dort au mieux dans un lit, au pire sur un canapé, et Will propose même son camping-car s’il n'y a plus de place. Ici la règle, c’est qu’il n’y en a pas. Tout est à tout le monde, le jacuzzi du jardin est chauffé, le frigo rempli, et la vie défile au rythme de ceux qui préparent une excursion, ceux qui se reposent devant Netflix, et les locataires permanents qui partent et rentrent du travail. Will héberge ainsi des voyageurs depuis 9 ans, il aime favoriser les rencontres entre eux et que sa maison soit un refuge ouvert à tous, n'importe quand.

Pour moi, ça a été l’occasion rêvée de rencontrer à la fois ceux qui m’aideront à déterminer mon futur itinéraire à travers l’Alaska, et ceux qui y vivent ; des américains bien sûr, mais aussi des natifs, de la tribu Yupik. J’ai passé une soirée à écouter leur histoire, celles des premiers habitants du continent, des pêcheurs qui chassent la baleine de leur kayak, et nourrissent ensuite le corps du défunt cétacé pour le remercier du don de nourriture qu'il leur fait. Celle des hommes contraints à abandonner leur traditions et leurs valeurs animistes au profit de celles des russes puis des américains venus coloniser leur territoire. Aujourd'hui, dans une dynamique de réconciliation des peuples alaskiens, ils réhabilitent leur langue, interdite pendant près de deux siècles, et valorisent leur patrimoine.

C’est ce genre de rencontres qui m'émeuvent particulièrement car elles m'ouvrent une fenêtre sur l'histoire du monde et des civilisations, et leur approche de la nature est de celle qui me touche vraiment.

Le lendemain, un ami me rejoint pour me suivre sur une partie de mon parcours en Alaska, et nous partons ensemble sur la péninsule de Kenai. Un bijou de fjords et de montagnes que nous traversons en train dès l’aube. Du train, nous regardons le soleil se frayer un chemin entre les montagnes et se refléter dans les lacs. Nous ralentissons devant un caribou… et tentons d’apercevoir les ours.

Arrivés à Seward, nous nous dirigeons vers un glacier que nous découvrons le long d’un petit trail charmant, égayé des premières couleurs de l’automne.

Ce trail de 4 heures s'avèrera être une parfaite mise en jambe pour ce qui nous attend les jours suivants : c'est là que nous nous échauffons un peu physiquement et que nous nous habituons aux règles de conduite à avoir vis des ours, très fréquents dans cette région. Il faut constamment parler ou chanter, pour prévenir l’ours de sa présence et ainsi ne pas le surprendre, et il faut aussi se préparer à dégainer son bear spray.  Ou se mettre face contre terre...

Après une nuit en tente, il faut repartir sans tarder car le Resurrection River trail nous attend et nous ne sommes pas au bout de nos surprises … Sans le savoir, nous nous embarquons sur un trail extrêmement compliqué, “into the wild”, avec pour seule trace celle des ours et des caribous.

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