Micro exploration
Le cinéma et la vidéo de manière générale mêlent images et sons dans une relation le plus souvent fusionnelle qui peut se résumer ainsi : “on entend ce qu’on voit et on montre ce que l’on entend”.
L'installation immersive que je propose brise ce lien conventionnel pour donner naissance à une narration hybride circulant entre audio et photo.
Elle vous offre des fenêtres sur quelques moments de mes voyages et de ma recherche.
Dans le camion de Vitali
Vitali est un chauffeur de camion qui a choisi sa vie pour être maître de son temps. Autrefois chef d'entreprise, il sillonne aujourd'hui les routes de la Sibérie orientale au gré des commandes de livraison.
Coincée à Yakutsk, et alors que je cherchais une solution de repli, Vitali me propose de m'emmener à Vladivostok où il mariera sa fille dans quelques jours.
Nous avons passé quatre jours ensemble, durant lesquelles il a tenu à ce que je me sente "comme à l'hôtel", me fournissant draps et serviettes, et me payant chaque repas.
Les journées sont longues et la route sinueuse, fatiguante, poussiéreuse.
Le soir, nous nous arrêtions aux douches.
Nous communiquions peu, car il ne parlait pas anglais, et moi je ne parle pas russe, mais nous avons échangé l'essentiel.
Nous sommes toujours en contact aujourd'hui, il m'a envoyé la photo de sa fille le jour de son mariage, et je le tiens informé de mon parcours.
La mama ukrainienne
J'ai rencontré Natalia dans le train pour Kiev.
Quand elle a compris que j'étais française, elle a appelé ses amies francophones qui ont joué les traducteurs-intermédiaires et leur a demandé de me dire qu'elle m'hébergerait à Kiev.
J'ai passé quelques jours dans sa ville qu'elle adore ; elle m'a emmenée partout.
Chez elle, dans la banlieue décharnée de Kiev, j'étais choyée. Natalia me préparait à manger comme une véritable mama, elle me donnait ses crèmes et faisait chauffer l'eau de la douche au poêle.
Quand il a fallu partir, elle m'a cuisiné des petits pains au four et m'a accompagnée jusque dans le wagon qui m'emmenait à Putivl.
Plus tard, ma grand-mère, d'Ukraine également, a reçu d'elle des tasses artisanales faites de sa main, aux couleurs de leur pays.
Dans le Transsibérien
À propos des paysages que traverse le Transsibérien, Tchekhov disait :
« d’enthousiasme, j’en ai la tête qui tourne » Plus d’un siècle a passé et pour la plupart des gens, le même mysticisme entoure cette contrée du bout du monde, cette immense réserve de silence si peu connue.
Les premiers rails du Transsibérien sont posés à la fin du XIXe siècle et il est l'oeuvre de Bogdanovitch qui souhaitait résoudre le problème des famines en Russie d’Europe en y acheminant les céréales sibériennes.
On est loin de l’époque où, aux arrêts, on donnait des fusils aux voyageurs pour qu’ils aillent chasser le gibier et se nourrir ! Aujourd'hui, chaque wagon à sa provodnista qui gère les voyageurs, leur confort, leurs draps et les prévient lorsqu'il faut descendre. La mienne est une jeune qui pianote sur WhatsApp et me chatouille les pieds lorsque je suis allongée sur mon lit.
L'expérience du Transsibérien est une expérience en soit, un éloge de la lenteur. Le train traverse des océans de forêts à 60km/h et dévoile ce qui ressemble à l’infini. Des paysages sans échelle, des gares en bois, des bourgs extraordinairement misérables, et moi qui attends en méditant, en lisant, en dormant.
Il faut errer dans ses pensées et s’y perdre un peu. Chaque seconde de chaque journée vous appartient, et c’est un luxe qu’il faut (ré)apprendre à apprivoiser.
15 heures de taxi pour Yakutsk
J'ai rencontré Anja et Vasil dans le train, ils rentraient de leur voyage de noces à Saint Petersburg. Eux viennent du nord de la Sibérie.
Ils m'ont aidée à trouver un taxi pour Yakutsk, au moment où je me faisais embarquer par un chauffeur malveillant.
Nous payons environ 40 euros par personne, et à minuit, nous partons sur les routes défoncées de la Yakoutie. Normalement, les gens prennent l'avion pour faire ce trajet.
Notre taxi est du genre à accélérer entre chaque trou, avant de piler. Une fois même, il m’a semblé que nous volions ! Vasil, qui est assis à côté de moi, me dit en rigolant “Taxi : Émilien !” Je ne sais pas d’où il sort cette référence cinématographique improbable pour un jeune sibérien mais j'éclate de rire.
Dans la voiture, ils fument tous, la musique est au maximum, j'ai la nausée ...
Nous nous arrêterons quelques fois pour manger des beignets à la viande sur le bord de la route, avant d’arriver à Yakutsk en milieu d'après-midi, soulagés et livides.
1 mois improvisé au Japon
Bien que cela ne soit pas prévu dans mon itinéraire initial, je suis restée presqu'un mois au Japon. De Vladivostok, j'ai pensé que j'aurais là-bas plus de chance de trouver un cargo pour me faire traverser le Pacifique. J'ai donc embarqué sur un ferry pour Sakaiminato ; de là, j'ai pris un vélo pour aller jusqu'à Kyoto en quelques jours, puis le Shinkansen pour Tokyo ... en quelques minutes.
Une fois installée dans la capitale nippone, j'entame les démarches nécessaires pour débarquer aux US en cargo ; je cherche d'abord le cargo lui-même, avant de faire la demande pour un visa spécifique. (L'ESTA n'est couvert que par les avions, pour une arrivée en bateau, il faut un visa normal...)
Mon visa touristique ayant été refusé, je dois demander un visa de travail ; après deux semaines d'attente, une ascension du Fuji, quelques karaokés et l'obtention du visa, mon passeport est déclaré perdu par la Poste. Dépitée, je dois regarder partir le container ship NYK Delphinus, et me résigner à prendre un billet d'avion qui justifie de l'urgence d'un nouveau passeport. Tout ça pour finalement m'entendre dire à l'Ambassade américaine que mon passeport est revenu, et qu'il faut annuler le nouveau ...
Mon projet de rallier Paris-NYC sans avion échoue bêtement.
J'ai perdu du temps et de l'argent, mais j'ai découvert une ville absolument fascinante, raffinée, et d'une ferveur incroyable. Je ne regrette jamais ce genre de mésaventure.