L'Europe
Dimanche 1er juillet, il faut y aller.
De la Place de Clichy avec 15 kg sur le dos, mon panneau de stop absurde. Il indique "New-York", et ma mère me dit que si une voiture s'arrête, ce sera plutôt pour m'emmener à l'hôpital, ou à l'aéroport.
Me voilà partie en route pour l'Allemagne ! Par la fenêtre, je regarde le paysage qui défile et, déjà, je sens l'extase de faire mes premiers kilomètres vers l'Est.
Contrairement à ce qu'on pense, ça n'est pas si évident de "suivre le chemin des hommes" quand il y a le choix entre des autoroutes, des trains et des RER, des métros, des bus, des pistes de vélo.... Évidemment, comme je n'aime pas la facilité, je me suis bêtement retrouvée à faire du stop le long d'une autoroute, la nuit tombée. Je lève d'abord nonchalamment mon pouce, puis, affolée par la vitesse des voitures qui me frôlent presque, je lance des appels au secours avec mon flash de téléphone et je réussis finalement à faire arrêter une voiture. Je suis soulagée jusqu'à ce que le conducteur me demande de conduire pour qu'il puisse tranquillement boire sa soupe. Une petite heure plus tard, me voilà à la gare de Cologne où je prendrai un train qui m'avance vers l'Est.
Je descends à la gare d'un petit bourg où je trouve une voiture qui me prend jusqu'à Berlin ! J'y reste à peine une journée, les villes ne sont pas le meilleur endroit pour rencontrer des gens. Je me dirige vers le Sud, jusqu'à Dresde et la frontière germano tchèque. Jusque-là, c'était plutôt facile, l'Europe étant un vaste réseau sans frontière où se côtoient et se mélangent les nationalités et les routes, il n'y a qu'à se laisser bercer selon la direction qu'on veut prendre.
Puis, par orgueil d'avoir voulu me lancer dans une grande expédition, je m'enfonce dans la forêt de la Suisse Bohémienne en République tchèque, où j'ai dormi à la belle étoile sur un tas d'herbe et marché une trentaine de kilomètres sur 2 jours, histoire de.
C'était sympa, c'était un peu l'aventure du dimanche, mais ça ne me faisait pas beaucoup avancer.
Je relève donc le pouce sur les routes et me voilà embarquée jusqu'à Liberec et Prague.
Après une sieste dans le jardin d'un couvent pragois et un bon dîner, je repars en bus cette fois jusqu'à Cracovie, et Lviv en Ukraine.
De Lviv, je prends le train pour Kiev... et je rencontre Natalia assise en face de moi.
Par l'intermédiaire téléphonique de ses amies francophones et anglophones, elle m'invite chez elle. Natalia, la mama ukrainienne, m'accueille et me chouchoute dans son appartement modeste sans eau potable ni eau chaude, à 45mn du centre de Kiev. Elle me laisse ses clés et me propose de dormir chez une amie pour me laisser tranquille chez elle.
Bien sûr nous resterons ensemble jusqu'à mon départ, trois jours plus tard, pour l'est de l'Ukraine vers Moscou...
Elle me fera visiter chaque recoin de sa ville chérie, les musées dans les églises, les jolis jardins, les grandes places, mais elle me laisse me balader seule sur la place Maïdan, la place de l'Indépendance, qu'elle n'aime pas beaucoup.
Mardi 10 juillet, Kiev au petit matin, me voilà embarquée dans un wagon dont la configuration étonne même Natalia, pourtant habituée à voyager simplement... Ça n’est qu’un ensemble de grandes banquettes en bois, les unes derrière les autres, et on reste là sans vraiment pouvoir bouger, cuisant au soleil derrière de grandes fenêtres condamnées. Pour l’odeur de la sueur et de l’urine, c’est cadeau.
Un peu avant d’arriver, un jeune ukrainien m’offre timidement un bracelet aux couleurs de son pays, j’oublie vite mon malaise, je suis ravie.
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J’arrive à Putivl où je dois attendre un bus qui me mènera à la frontière russe. La gare routière est dans un autre village qui a le même nom… je marche quelques kilomètres, je commande un dîner dans un café pour 1,30€, et j’embarque dans un genre de bus local pour Moscou. Arrivée à la frontière, je range mon bracelet ukrainien pour ne pas m’attirer inutilement des ennuis, et j’attends qu’on vérifie, une fois, deux fois… sept fois mon passeport. Nous passerons quatre heures dans ce poste frontière aussi grand qu’une station service de province. Seule étrangère du bus, on m’interroge sur les raisons de mon voyage, un chien renifle plus de 15 minutes mes affaires, et moi je souris car la France vient d’être qualifiée en finale.
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Dix jours ont passé depuis la Place de Clichy à travers une Europe ultra connectée, où l'on ne s'étonne même pas de discuter avec des jeunes témoins de Jehovah, révolutionnaires ukrainiens, gardes forestiers du parc naturel de la suisse bohémienne ...
Dix jours durant lesquels j'ai pu également abaisser de quelques crans le curseur de mon échelle de confort, celle qui rend tout plus appréciable et prépare au long voyage.
Et dans quelques jours je serai lancée sur les rails de la Sibérie, vers la république de l'Altaï, le Tibet Russe à la croisée de la Mongolie, du Kazakhstan et de la Chine. Dans quelques jours l'aventure de la Sainte Russie commence. Mais d'abord : Moscou ! Et c'est bientôt la finale ...